Le camp

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Travailler

Les premiers internés au Vernet d’Ariège débarquent dans des baraques non entretenues depuis des années, véritables taudis et loin d’être suffisantes pour que les 10 000 arrivants aient un toit sur la tête.

Les moyens budgétaires limités et l’urgence de la situation entraînent naturellement le recours à toute la main d’oeuvre disponible, et en premier lieu les internés eux-mêmes. Aménagement du terrain, construction des abris, les travaux les plus urgents sont d’abord ceux de la construction du camp.

Les internés sont aussi occupés à des travaux de construction de routes ou d’entretien du camp. Ils s’improvisent terrassiers, casseurs de pierre, cantonniers, par tous les temps, et avec des outils de fortune.

Dallage à la manière des voies romaines. Extrait d’un rapport du Ministère de l’Intérieur du 31/12/1941 Source : Archives Nationales cote AN F/715094

Le travail durait en hiver de huit heures à onze heures et de une heure à quatre heures ; les heures de travail étaient réduites par la lumière et par l’infériorité physique des hommes sous-alimentés.

Arthur Koestler, La lie de la terre

Carlos Duchatellier, 20 octobre 1941 ©Coll. Amicale du camp de concentration du Vernet d’Ariège

D’autres sont utilisés à des travaux de gestion du camp : corvées de tinette, consistant à transporter les récipients des latrines pour les vider dans l’Ariège, travaux en cuisine…

Carlos Duchatellier ©Coll. Amicale du camp de concentration du Vernet d’Ariège

Notre travail consistait à collecter les tinettes de la section C et des logements des gendarmes hors du camp. Chaque escouade était composé de douze hommes et devait charrier une vingtaine de tinettes. Le contenu de ces vingt récipients était transvasé dans six baquets. Comme les poignées de quelques-uns de ces baquets étaient cassées, il nous était difficile de les manipuler et il fallait une technique spéciale pour éviter que le contenu n'éclaboussât nos vêtements. Chacun de ces six baquets pesait, une fois rempli, de trente à trente cinq kilogrammes. Deux hommes les portaient à travers le camp jusqu'à une étroite voie ferrée. Les baquets étaient chargés sur un truck et les trucks étaient poussés jusqu'au bord de l'Ariège, à cinq cents mètres du camp. Leur contenu était jeté dans un grand trou, près de la rivière ; on en sentait les exhalations dans un rayon qui variait, suivant le vent et le temps, de cent mètres à un kilomètre. Puis, par un talus en pente, glissant de verglas ou de boue, on descendait les baquets vides pour les laver dans la rivière. Quand la rivière était gelée, il fallait d'abord casser la glace. Puis on remontait la pente avec les baquets : on les replaçait sur le truck que l'on poussait en sens inverse ; enfin les baquets reprenaient leur place dans les latrines du camp. La seule protection contre l'infection était de se laver les mains dans l'eau froide après le travail ; les nombreuses épidémies de dysenterie furent la conséquence inévitable de ce système hygiénique. Ce travail se répétait deux fois par jour. Les deux premières fois, je vomis, plus tard, je m'habituai.

Arthur Koestler, La lie de la terre

Giuseppe Capone, « Decauville aux tinettes », Vernet, juillet 1940 ©Coll. Amicale du camp de concentration du Vernet d’Ariège

Au-delà de cette approche utilitariste, le travail a différentes fonctions à l’intérieur du camp : il permet de limiter drastiquement l’oisiveté des internés, sujet de grande inquiétude pour les autorités qui craignent les rassemblements, les révoltes et la formation de cellules de résistance actives dans les camps.

Mais le travail a également une fonction punitive ou de dissuasion (attribuer les tâches les plus dégradantes ou épuisantes) ou de promotion (valoriser ou récompenser les comportements qui servent les objectifs de la Direction du camp). On limite également autant que possible les travaux extérieurs pour les hommes dont on craint la capacité à tisser des liens d’entraide hors du camp.

Carlos Duchatellier, Vernet 1941 ©Coll. Amicale du camp de concentration du Vernet d’Ariège

Les photographies ci-dessous sont extraites d'un rapport d'inspection datant du 31 décembre 1941. Elles montrent les différents ateliers dans lesquels travaillaient les internés.

Source : Archives Nationales. AN F/715094

Progressivement, les hommes en capacité de travailler sont déportés depuis le camp du Vernet vers des camps de travail. L’organisation Todt enrôle les hommes, plus ou moins volontaires, pour les chantiers de l’Atlantique, tandis que le STO, qui concerne aussi les étrangers, conduit à des déportations vers l’Allemagne. Les travaux s’amenuisent avec l’épuisement physique et l’âge des hommes restant au camp.